Elle
 
Elle est là, elle l'attend, tranquille, il n'a que quelques minutes de retard. Ça lui arrive des fois, il prend son temps pour rentrer. Après le boulot, un petit apéro avec les collègues avant de rentrer à la maison n'a jamais tué personne. Ces temps-ci, il a de plus en plus de mal à rentrer, il ne supporte plus de la voir comme ça. Il ne lui dit pas, mais elle devine, au bout de vingt ans de vie commune elle le connaît par cœur. Elle ne peut rien faire, elle a essayé de lutter, mais la rechute n'en est que plus difficile. Il n'y a plus que lui qui existe, elle n'existe plus qu'à travers lui, et si un soir il ne rentrait pas…
Ça fait déjà une demie-heure de retard, peut-être que ce soir il a décidé de ne pas rentrer. Elle, elle n'arrive pas à décider, jamais, ça la fait souffrir, encore plus.
Déjà au début quand ils se sont rencontrés, elle était perdue, c'était même ça qui lui avait tout de suite plût chez elle. Il était l'adulte, elle était l'enfant. Mais à la longue, forcément ça lasse. A plusieurs reprises il avait essayé de la faire grandir, elle était restée petite.
Depuis quelques années déjà, ils se parlaient moins, il l'évitait, rentrait plus tard du travail, il ne l'avait jamais abandonné. Il lui disait qu'il ne pourrait pas vivre sans elle, c'était ça qui la faisait tenir. Mais s'il n'était plus là…
Elle y avait maintes fois réfléchi. Elle gardait dans un coin des petits comprimés blancs qu'elle n'avait pour l'instant pris que par petites quantités. Elle ne pensait qu'à lui.
Et si ce soir il ne rentrait pas…
Ce serait plus simple, tout pourrait être réglé une bonne fois pour toute, elle y avait déjà tellement pensé. Elle lui laisserait tout ce qu'elle avait, elle lui avait même écrit à plusieurs reprises une lettre qu'elle connaissait maintenant par cœur . Elle lui demandait pardon. Pardon d'avoir  croisé sa route, pardon de ne pas avoir su être.
Peut-être ce soir, l'écrirait-elle pour la dernière fois…
Un bruit, une porte, la prochaine fois peut-être.
 

Lui

Une fois de plus au bar, il est seul. Cet endroit c'est un peu sa deuxième maison, il y passe même plus de temps que dans sa vrai maison. Faut pas lui vouloir, c'est comme ça, il n'arrive plus à rentrer. Plus le temps passe et plus il se demande comment ils en sont arrivés là. Il ne peut plus la regarder en face, c'est pas qu'il ne veuille pas, mais il n'a plus la force.
Dans ses yeux, il ne voit que des reproches et il culpabilise, alors il a décidé. Il a décidé de ne plus la comprendre. Il la regarde s'enliser chaque jour et il est impuissant.
Bien-sûr il y a eu des moments de bonheur, ces petits instants qu'on voit trop vite passer et qu'on apprécie qu'après.
Il a déjà été tenté, tenté d'aller voir ailleurs, de vivre un peu, de respirer un autre air, de voir si ses poumons névrosés tiendraient le coup.
Jusqu'à maintenant il avait toujours refusé cette solution, aujourd'hui comme chaque soir il se demandait s'il arriverait à continuer. A quoi bon continuer, peut-être qu'après tout ça lui ferait même du bien, à elle…
Du bien de se retrouver un peu seule, c'est évident que ce serait difficile, du moins au début, mais est-ce qu'il ne fallait pas en passer par-là. L'obliger à réagir, puisqu'elle ne pouvait pas décider, il déciderait à sa place.
Il commande une autre pression, la dernière avant de rentrer, louis le patron le note sur son ardoise. Mais pas ce soir, ce soir il va payer, car il ne sait pas quand il reviendra.
Aujourd'hui jeudi 10 mars il va partir.
Il pourrait l'appeler, mais elle ne répond jamais au téléphone, il va rentrer, lui expliquer qu'il doit partir, et quelque soit sa réaction sa décision est prise.
Juste un sac avec quelques affaires, prendre le carnet avec les numéros des potes, et en avant. Quand il décide quelque chose, il ne revient jamais en arrière.
Il avale son demi d'une seule traite, règle son ardoise et rentre chez lui.
Un bruit, une porte…

Marie C